L'exploit historique de la mission Rosetta
Mission accomplie : pour la première fois dans l'histoire de l'Humanité, l'Europe a posé en douceur hier un petit robot, Philae, à la surface d'une comète, couronnement d'une aventure spatiale entamée il y a vingt ans.
Une mission historique s'est accomplie hier aux confins de l'espace. À 500 millions de kilomètres de la Terre, les scientifiques et techniciens de l'Agence spatiale européenne (ESA) et leurs alliés sont, en effet, parvenus à poser un petit robot sur une comète. Lancée en 2004 la sonde Rosetta, qui a parcouru 6,5 milliards de kilomètres, est arrivée hier matin à proximité de la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko, dite «Tchouri». Peu après 10 heures, la sonde a largué le petit robot Philae – chacun a d'ailleurs pris une photo de l'autre ! – entamant alors de longues heures d'attente angoissantes. Car il aura fallu plus de 7 heures pour le robot, progressant à la vitesse de 3,5 km/h, pour arriver sur le site «Agilkia», identifié sur la comète comme présentant le meilleur compromis technique et scientifique.
À 17 h 03, conformément à toutes les prévisions esquissées dans les laboratoires il y a des années, le signal confirmant l'arrivée du robot sur la comète a été reçu avec une explosion de joie par les scientifiques, à Darmstadt en Allemagne dans la salle de contrôle, comme à Toulouse au CNES ou à la Cité de l'Espace où quelque 5 000 personnes étaient réunies. Mais aussi partout dans le monde sur internet. Rarement un événement scientifique n'aura suscité autant de messages sur Twitter et les réseaux sociaux pour saluer une véritable aventure.
C'est que chacun avait bien conscience du moment historique qu'il vivait. Certes un instant peut-être moins émouvant que le premier pas de l'homme sur la Lune, mais cet exploit est assurément un nouveau grand pas pour l'humanité. «C'est un grand pas pour la civilisation humaine», a ainsi commenté Jean-Jacques Dordain, directeur général de l'ESA. «Nous sommes les premiers à l'avoir fait et c'est cela qui restera pour toujours», a-t-il ajouté, soulagé après les dernières 24 heures vécues sous haute tension dans les différents centres de contrôle de l'ESA.
Une tension qui s'est ravivée en fin de journée lorsque l'on a appris que le robot n'était pas parfaitement ancré sur le sol… Sans préjuger de la suite, les scientifiques ont hâte de travailler avec Philae. Le robot – qui devrait fonctionner jusqu'en mars – a, en effet, la mission de trouver sur le noyau de la comète des molécules organiques qui ont pu jouer un rôle dans l'apparition de la vie sur Terre, les comètes étant les objets les plus primitifs du système solaire. La mission Rosetta, d'un coût de 1,3 milliard d'euros, est déjà une victoire technique et scientifique européenne exemplaire. Un exploit qui est tout à la fois l'aboutissement d'une vingtaine d'années de recherches et l'ouverture d'une nouvelle page dans l'histoire de l'Univers et de la conquête spatiale qui, quoi qu'on en dise, continue à nous faire rêver.
5 000 personnes en liesse à Toulouse
D'abord il y a eu l'attente. Sept longues heures. Et puis les cris de joie, les larmes, les embrassades. Plus de 5 000 personnes ont suivi hier l'atterrissage du module Philae sur la comète «Tchouri» en direct de la Cité de l'espace de Toulouse. Dans la salle d'exposition «Explorations extrêmes», transformée en salle de presse et de retransmission, le public a mijoté toute la journée avec bonheur.
L'ambiance ? Du chaud avec les démonstrations de l'éternel Michel Chevalet — «Hé ! Regarde, c'est lui ! J'ai grandi avec ses comment ça marche à la télé». Du glacial et du parfumé dans l'atelier de fabrication de comète de Xavier Penot, chargé de la médiation scientifique à la Cité de l'espace. Et puis, l'explosion, à 17 h 03, lorsque la confirmation du «Touchdown» du robot est arrivée.
En larmes, la Toulousaine Claire Vallat, en charge des observations scientifiques à bord de Rosetta pour l'agence spatiale européenne (ESA) à Madrid, reste scotchée devant l'écran géant. «C'est merveilleux ! Il y a tellement de personnes qui ont bossé et qui bossent encore pour cette mission… Tellement de tension, c'est inimaginable… Ça fait huit ans que je travaille, je connais les équipes toulousaines du Sonc, ça m'aurait fait de la peine si Philae n'avait pas atterri», souffle la scientifique en s'essuyant les yeux. «C'est historique et on fait partie de cette histoire. Ça fait longtemps qu'on y travaille, tout est passé très vite et tout va bien puisqu'on communique avec le module», ajoute Sébastien Bosse, ancien étudiant toulousain aujourd'hui planétologue au centre technique ESTEC de l'ESA aux Pays-Bas.
Hier, c'est toute la grande famille scientifique, universitaire et spatiale toulousaine qui a communié avec un petit robot, à 510 millions de kilomètres de distance. Devant la maquette taille réelle de Philae, suspendue pendant sept heures au-dessus du décor cométaire, les directs et interview s'enchaînent. L'astronaute Philippe Perrin porte une cravate fusée, les membres du Cnes, l'agence spatiale française, font des jaloux avec leur t-shirt collector et les enfants dont le papa ou la maman a participé à la mission viennent toucher une comète : «Mais c'est super froid ! ». Les Toulousains d'autres missions déjà emblématiques sont là, solidaires et fiers. «On est bon », résume en riant Sylvestre Maurice, inventeur de ChemCam, la caméra laser du robot martien Curiosity. «Il y a des moments où il faut se sentir fier d'être humain. Le génie de l'Homme c'est de se lancer dans un exploit pareil », poursuit l'astrophysicien. «Je pense à mes voisins de bureau. Une cloison sépare les centres de contrôle de Curiosity et Philae. Je suis heureux », témoigne William Ravin, doctorant à l'IRAP (Institut de recherche en astrophysique et planétologie, université Toulouse 3 Paul Sabatier). «J'avoue que dans les années 1990, dans la phase de conception, je ne me projetais pas aussi loin. Les boulons qui libèrent les jambes et les harpons de l'atterrisseur, on ne peut pas les tester comme on le fait avec les instruments pendant la phase de croisière… C'est comme une allumette, ça ne marche qu'une fois ! Ça valait le coup d'être essayé. Nous sommes les premiers à nous poser sur une comète », glisse Pierre Bousquet, responsable des projets d'exploration planétaire au CNES à Toulouse.
Badge clignotant Philae épinglé sur leur t-shirt bleu, Jérémy, Fabien, Baptiste et Clément, étudiants à l'Isae (Sup Aero) ne boudent pas leur plaisir. «Vivre ce moment historique, c'est le rêve pour nous parce que nous nous orientons vers ces métiers-là. Peut-être que dans quinze ans ce sera à notre tour d'écrire l'histoire spatiale ».
Entre deux SMS avec ses équipes, Marc Pircher, directeur du centre spatial de Toulouse, décolle presque. «C'est la mission la plus emblématique de l'histoire spatiale. Pour moi, ça vaut l'Homme sur la Lune ».
À Toulouse hier soir, ils sont nombreux à ne pas être tout à fait redescendus, des images plein la tête, même si la plus attendue – la vue panoramique prise au sol par les caméras de Philae- n'est pas arrivée. Il ne reste plus qu'à remettre ça. Mais pas dans dix ans.
Source La Dépêche du Midi Philippe Rioux Emmanuelle Rey
Le Pèlerin